Ce dicton s’applique également lorsque notre beau fleuve sort de son lit : si les chasseurs de gibier d’eau peuvent s’inquiéter pour les nichées et que prélever un ragondin d’un canoë défilant au rythme du courant est une véritable gageure pour les archers-pagayeurs, certains voient plutôt d’un bon œil la montée des eaux : je suis du clan des archers-marcheurs.
Les berges en pente douce jonchées d’arbres, d’arbustes et de jeunes pousses en tous genres deviennent de véritables labyrinthes entre terre et eau : un monde à part, éphémère, où tous les repères sont en perpétuelle évolution.
Dans ces milieux inextricables, les animaux sont protégés des dangers venants de la Loire mais ils sont exposés aux traqueurs des berges. En effet, leurs ultimes refuges sont devenus inaccessibles, perdus sous les eaux.
J’adore chasser dans ces lieux fermés où chaque pas vous plonge dans ce monde aux portes de notre civilisation, et pourtant si sauvage. J’aime cette soudaine montée d’adrénaline qui vous inonde lorsqu’ au détour du moindre obstacle, votre regard se pose sur une partie de pelage, sur une forme familière en contre-jour, sur un mouvement fébrile au milieu des herbes. J’aime cette rencontre de proximité que nous offre ce type de chasse.
Ce soir d’élection présidentielle, je suis gâté : je connais déjà le programme télé, le soleil perce les nuées d’un trait doré (s’agirait-il d’un signe) et la Loire est haute. Après une fraction de seconde d’hésitation, je me décide à sortir.
Mon choix se porte d’autorité sur mon secteur préféré, une zone particulièrement propice à l’approche, avec une belle population de ragondins. Je sais également que j’ai rendez-vous avec un vieil ami. Depuis déjà deux ans, je joue à cache-cache avec le grand blanc. J’ai déjà manqué deux occasions à chaque début de saison et à chaque fois le même scénario se produit : il disparait littéralement du paysage.
Ce soir, les trous sont inondés. Il n’a pas d’autre choix que d’être sorti et il n’est pas question que je lâche prise.
Je connais parfaitement les quelques centaines de mètres que je vais prospecter. Je sais où se situent les trous d’eau, où sont les arbres morts, où sont les petits cours d’eau secondaires. Malgré ma connaissance du secteur, je redouble de vigilance : la puissance de la Loire est terrible et l’étreinte du fleuve peut rapidement devenir un piège mortel. Il serait donc inconscient de sortir avec de l’eau jusqu‘au poitrail sur un secteur inconnu.
Je progresse lentement entre les amas de branches et les saules, sur un tapis immergé d’herbe verte : un décor un peu surréaliste.
Le ronflement sourd du fleuve et ma progression lente me rende inaudible des habitants du fleuve et même les canards se font surprendre par ma progression.
Devant moi s’ouvre une « clairière » immergée. Je reste un peu en retrait afin de jumeler quelques instants : un plongeon lointain attire mon attention mais il m’est impossible d’identifier son auteur : la vigilance est de rigueur.
Je vérifie mon côté gauche avant de m’engager sur la zone découverte. Masqué par quelques branches, posé sur un amas d’herbes sèches, le dos arrondi, un myocastor profite des rayons du soleil à quelques mètres de moi.
Le projectile frappe l’animal dans un bruit mat. Il cherchera en vain à échapper à son destin en essayant de plonger : une seconde flèche plein thorax viendra prendre la vie de ce beau spécimen de 5Kg.
Je dépose ma victime sur la berge et continue ma quête. Un second ragondin évolue à une quinzaine de mètres de moi alors que je suis camouflé derrière un arbuste. La distance est correcte mais il est beaucoup trop « sur la Loire » puis Il disparait dans le couvert végétal. Je contourne l’arbuste, j’ai de l’eau jusqu’au poitrail (pourvu que mes jumelles soient étanches et que le ragondin ne ressorte pas tout de suite : impossible d’armer dans ces conditions)
Je le retrouve qui continue sa remontée tout en cherchant son diner. Commence alors une traque plus dynamique pour essayer de garder à distance « le moustachu ». Mais déjà le fugitif me distance.
C’est à ce moment- là que mon vieil ami refait surface : sortant du couvert des arbres, il rejoint pour un instant son congénère. Je perds les deux individus dans le dédale de souches, de bras d’eau et de saules.
Tant pis, je continue ma progression en inspectant minutieusement les alentours. Je suis sorti de la zone propice et pourtant un ragondin vient de sortir sur le fleuve. Il descend droit dans ma direction. J’arme en anticipant un peu sa trajectoire. Ma flèche part et heurte un obstacle dur juste devant sa tête (une branche immergée ?) Il se jette dans les branches affleurantes ; je ne le reverrais pas.
Je reviens sur mes pas : c’est sûr, le « blanc » est resté camouflé quelque part derrière moi. Il m’a déjà fait le coup.
Je cherche le fugitif sous le couvert, un peu plus près de la berge. L’eau est moins profonde et je peux évoluer plus facilement entre les arbres. C’est là que je le découvre, au pied d’une souche à une quinzaine de mètres. Je sais qu’il m’a repéré mais je compte bien approcher encore un peu, histoire de prolonger ce petit coup de fouet qui m’emballe le cœur, mais aussi parce qu’une branche risque de dévier la trajectoire de ma flèche.
Il faut «jauger » l’animal : jusqu’où est-il capable de me laisser approcher sans se sentir en danger ? Je ne prendrais pas de « risques » cette fois-ci. Je suis à dix bons mètres et je me suis décalé sur ma gauche ; ma fenêtre de tir est ouverte. Il est trop tard pour lui lorsqu’il amorce sa plongée : ma flèche vient de pénétrer son thorax. Il ressortira pour prendre une bouffée d’air, sa dernière avant de plonger une seconde fois dans une gerbe d’eau et de sang. J’attendrais quelques instants que mon encoche et le bout de mon empennage réapparaissent sous le regard un peu surpris d’un castor mangeant à quelques mètres. Le grand blanc était une « grande blanche » de 6,7 Kg.
Y aura-t-il d’autres grands blancs à mon tableau sur la Loire ? C’est bien possible…mais pas cette saison.
Distance de tir 1er ragondin 5 -6 mètres. Distance de fuite : 5 mètres
Distance de tir 2ème ragondin 10-12 mètres. Distance de fuite : 5 mètres
Arc BW PA 52#@26
Alain Gaillard
Commenter cet article