Je suis mauvais…incapable de me concentrer sur mon objectif durant les quelques secondes nécessaires précédant la décoche ; le temps indispensable pour « verrouiller » correctement sa cible (to pick a spot) comme disent nos amis d’outre atlantique.
Il faut dire que la soirée de samedi a été plutôt catastrophique : quatre ragondins tirés, pas un au tableau et 2 flèches dans le milieu de la Loire.
Mais soyons « positifs »: finalement, même un petit ragondin peut faire battre le palpitant, à l’instar de ce jeune que je viens de repérer et qui vient tranquillement se jeter dans la gueule du loup tout en cherchant sa pitance : je le manquerais lamentablement à quelques mètres en passant « au-dessus » (tiré en surplomb et les épaules pas assez dans la pente)
Il y a aussi l’albinos que je viens de louper (quelques centimes devant le museau) et qui mérite peut-être de grossir !!!
Que dire de la décoche à une vingtaine de mètres dans ce bras de Loire: la flèche a peut- être été lâchée par dépit mais elle n’est tout de même pas passée loin de sa cible.
La nuit tombant, Je reviendrais demain pour récupérer mes flèches mais les déconvenues de ce soir me laissent encore un goût amer.
Il parait que le chasseur à l’arc est opportuniste : je vais donc récupérer les flèches d’hier soir à une heure stratégiquement intéressante, un peu comme on va rendre une petite visite à un ami vers les 11h30 ou les 19h00, histoire de resserrer les liens autour du verre de l’amitié si vous voyez de quoi je veux parler.
Evidemment, j’emmène de quoi récupérer mes flèches (un petit moulinet pliant munit d’un hameçon trident et correctement plombé) ainsi que mon arc et quelques projectiles.
Il y a du vent mais la zone est à l’abri. Je progresse lentement sur la rive pour arriver au niveau de mes flèches. Je donne un coup de jumelles sans les repérer : elles ont dérivé.
Je sais que l’amas de branches à mes pieds (hutte de castor) est particulièrement propice aux ragondins et une particularité m’attire l’œil : une « tâche » blanche inhabituelle puis un pelage plus brun juste à côté.
Ils sont à l’abri sous la hutte, dans l’entrelacs des branches : encore faut-il identifier qu’il s’agit bien de ragondins et trouver une fenêtre de tir avant de décocher. Déjà, les animaux s’agitent et tous ont plongé avant même d’avoir pu vérifier de façon infaillible l’identité des occupants des lieux.
Il est encore tôt, je me replis vers l’aval pour essayer de retrouver mes flèches (j’en retrouve une sur les deux)
Je me confronte également avec les chevreuils du secteur : une approche sur brocard et chevrette à vingt mètres (frottis dans des repousses de peupliers) et un autre « six » venant à dix mètres alors que se suis « figé ». Mais revenons à nos ragondins car l’heure passe et la soirée avance.
Un jumelage rapide aux abords de la hutte et un pelage blanc se détache nettement sur le fond « vert acide » de la végétation naissante. L’albinos est revenu et s’alimente à quelques mètres de son refuge, tranquillement posé sur son séant. Finalement, il n’est pas si petit ce ragondin !!!
Je contourne soigneusement la zone en évitant les pièges basiques des bords de Loire (canards, feuilles et branches sèches) de façon à venir me positionner entre la hutte et l’animal.
Déjà, et malgré le plus de discrétion possible, j’aperçois les vaguelettes sur ma gauche. Encore un pas et la zone devant moi sera totalement dégagée.
Alors, se produit cette rencontre si particulière entre le prédateur et sa proie, un instant qui m’apparait toujours comme une éternité mais qui va pourtant si vite : le ragondin albinos est à l’eau et se dirige rapidement vers la hutte. Je sais qu’il va plonger pour entrer sous l’abri où je n’ai aucune chance de le revoir. Le bras d’arc est monté instinctivement et mon majeur est calé un peu en dessous de la commissure de mes lèvres.
Encore une seconde d’éternité Alain … tiens encore la seconde supplémentaire qui va te permettre de poser ton regard sur le thorax légèrement immergé de ce « blanc ». La flèche est partie et le temps, un moment suspendu, vient de reprendre son rythme implacable.
A l’impact, la tête de l’animal disparait sous l’eau tandis que le reste de son corps se raidit. C’est fini, le « blanc » n’aura pas eu l’occasion de se mettre à couvert. Ma flèche pénètrera dans le cou, à la base du crâne et sectionnera artères et vertèbres ; la mort a été immédiate. Ma proie n’est finalement pas très grosse (3kg100) mais la rencontre a été belle.
Arc BW PA 52#@26
Distance de tir : 7-8 mètres en léger surplomb
Distance de fuite : 0
Alain Gaillard
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